25 déc. 2011

"Joyeux Noël"

  
Samedi soir, il pleut des cordes! L'eau ruisselle sur les bords de la terrasse, s'abat par trombes devant les immeubles voisins, frappe les fenêtres embuées de la maison. Réunion de crise des colocataires autour d'un thé. "On y va quand même." Tous d'accord, mais pas avant d'engloutir une soupe et d'extirper les manchons en polaires oubliés depuis les premières gardes de l'armée. Dehors les rues sont devenues ruisseaux, les rares passants se pressent à l'abri. 
 
Entre deux passages piétons, Yana distribue les derniers beignets de Hanoukkah¹ - rescapés d'une razzia des copains venus aider au déménagement de son armoire - à des touristes étonnés, et Yam enfile les dates livrées par un kibboutz du sud dans une caisse depuis transformée en boîte aux lettres temporaire. Les murailles de la vieille ville baignent dans une irréelle lumière jaune, battues par le vent et la pluie. Une Hanoukkia² géante se dresse devant la porte médiévale. Quelques pèlerins errent sans but apparent.
 
Après la traversée du shouk, tournant à gauche vers le quartier chrétien et l'église du Saint-Sépulcre. Veille de Noël. Un amas hétéroclite attend l'ouverture de la cour pour la messe de minuit. Il n'est qu'onze heures... Transis de froid, de jeunes israéliens se serrent sous un parapluie tandis qu'un groupe de Philippins - chapeaux rouges de lutins clignotants contre le ciel gris - rit aux éclats. Pas un chat dans les rues du quartier arménien. Mais où sont-ils donc passés? Dans la rue adjacente désertée, un chat s'ébroue sous une gouttière. De vieilles russes grommellent sous leur capes de pluie et se collent à la porte en métal.
 

Et puis, à l'approche de minuit, verdict. La messe n'aura pas lieu! Il fait trop froid. Chacun se regarde un peu hébété. "Il n'y aura rien! Rien! Pas la peine d'attendre!" signale d'une voix rêche une ménagère russe de la main avant de s'enfouir à nouveau sous sa cape de plastique et de disparaître dans la nuit. Direction la Via Dolorosa. Une douzaine d'églises sur le chemin, quelques couvents - c'est bien diable s'il ne s'y passe rien!
 

Mais aucune âme qui vive. Nos pas résonnent entre les flaques d'eau, sur les dalles rendues glissantes par la pluie. Une fois débouchés dans le quartier musulman, à quelques centaines de mètres de la Porte des Lions, nous tombons sur un prêtre orthodoxe très étonné de sa rencontre. "Tout la procession est partie à Bethlehem! Il n'y a rien ici jusqu'à demain matin..." explique-t-il en Russe à Yana dont le parapluie bleu se retourne brutalement, déclenchant l'hilarité générale. Quelques soldats intrigués à leur tour par notre présence confirment ses dires. Noël à Jérusalem n'existe pas. L'an prochain à Bethlehem? L'accès à la ville est interdit aux citoyens israéliens. Bredouilles, donc.
 

Bourrasques de vent. Les dernières hésitations entre un bref passage au couvent de l'Ecce Omo et un retour prématuré à la maison s'envolent. Un homme nous dépasse, Juif, ultra-orthodoxe, son chapeau noir affublé d'un sac en plastique pour le protéger des caprices de l'hiver hiérosolymitain. Lancés à sa suite, d'un pas rapide nous traversons le quartier musulman vers le mur des lamentations. Le portique de sécurité sonne, dans l'indifférence des gardes à son entrée... Quelques irréductibles trempés prient contre les pierres millénaires, surplombés par l'esplanade des mosquées.

Et de nouveau, il faut traverser les ruelles vides du shouk. Nos pas glissent sur les dalles polies, quand soudain, miracle! Un carillon sonne minuit. Course effrénée à la recherche d'un clocher, jusqu'à l'ouverture des portes du temple évangélique. "Fröhliche Weinachten!" Les cierges brulent encore sur les bancs en bois, pommes et étoiles dorées décorent les sapins, et dans une crèche en bois, les santons sentent la cire et la sève de pin. Des fidèles allemands entonnent un psaume, on sent le vin chaud et une odeur suave de cannelle et girofle. 
 

Enfin. C'est donc ça, Noël, dans la vieille ville de Jérusalem. Bien différent de ce qu'on imaginait, mais plutôt émouvant finalement. Nos pèlerins s'en vont réveillonner au premier étage du bâtiment médiéval, nous repartons vers la ville moderne. Dehors, les bus de nuit de la compagnie nationale Egged souhaitent aux passagers de joyeuses fêtes de Hanoukkah...

 
Joyeux Noël, joyeux Hanoukkah, et bonne année à tous!

1. Hanoukkah: fête juive qui commémore le miracle de la réinauguration du second Temple de Jérusalem, après la défaite du roi grec Antiochus par les rebelles juifs. Pour en savoir plus (wikipédia), c'est ici!
2. Hanoukkia: sorte de chandelier à huit branches allumé chaque soir de Hanoukkah pour commémorer le miracle. Pour voir une image, c'est là.

2 déc. 2011

"Jérusalem!"

  
Il a fait frais en Israël ce mois de novembre, de façon inhabituelle. J'écris peu. La pluie qui si soudainement était venue signifier la fin des jours d'été n'a d'abord plus semblé cesser. Transie de froid et d'eau glacée dans mon uniforme, j'ai arpenté les rues de Jérusalem, visité des immeubles en ruine, passé des auditions devant un jury de colocataires frileux, exploré des appartements en plus ou moins bonne compagnie, espéré, attendu. Et peut-être enfin trouvé. 

En attendant, les nuages ont fui, chassé par un vent poussiéreux, qui balaye le sable des rues et agite les bras ballants des glycines sur les terrasses. Le soleil à Tel Aviv perce entre les feuilles jaunies des allées et crépite sur les aspérités des murs blancs face à la mer. Mes cartons sont empilés, déposés chez Eléa. J'ai rendu les clefs de mon taudis à deux pas de la plage. Plus d'attaches.


Retour prévu à Jérusalem, donc. 
 
Une chanson populaire du groupe hiérosolymitain Hadag Nahash¹, entre hip hop et funk, et d'ordinaire plutôt à gauche, résume l'éternelle hésitation des jeunes laïques israéliens entre Tel Aviv et Jérusalem. L'exode n'en finit plus, les couples quittent la capitale pour le centre du pays, poussés dehors par la pression religieuse et le manque de logements abordables. Les relations avec la population ultra-orthodoxe se tendent avec les années, se cristallisent sur la place des femmes en société, alors même que Jérusalem se modernise enfin un peu. Bus séparés, et rues divisées ont fait leur apparition - à l'horreur de ceux qui rêvaient de voir la ville changer. Et pourtant, la vie laïque n'a jamais été aussi organisée et encouragée que sous cette municipalité. Fêtes de rues, festivals, concerts, nouveaux cafés, magasins branchés, maisons de disques et adresses ouvertes durant le shabbat, il existe une réelle toile de lieux réservés au public non-religieux, souvent étudiant.
 
Au shouk Makhane Yehuda, vente de kippa entre les légumes saisonniers

De nouveau, à voir et redécouvrir, et aussi sur ce blog - Jérusalem, la ville des contraires. Celle des ruelles du centre-ville la nuit, et celle de ceux qui ne les empruntent que le jour. Celle des militants de gauche qui habitent dans une implantation, et de leurs voisins "colons". Celle des religieux orientaux, méprisés par les ultra-orthodoxes d'Europe, et méprisants des communautés éthiopiennes. Celle d'Est en Ouest. Ancienne et moderne. Celle de pierre et celle juste rêvée...
 
1. Hadag Nahash: Pour ceux qui se demandaient, le nom du groupe signifie très littéralement "le poisson-serpent", mais c'est en réalité une contrepèterie à partir de la mention Nahag Hadash qui veut dire en Hébreu "nouveau conducteur".